| Jérôme Liniger | forme & fond



l Avant-propos

Vitesse, destruction, création, jouissance, iconoclasme, autant de mythes contemporains que j’aime appréhender dans une recherche basée sur la rencontre de ces deux protagonistes si difficilement dissociables que sont le créateur et le spectateur.

Cette « confrontation » raisonnée questionne les dogmes modernes et les tabous d’un monde actuel dont la création devient peut-être le joker. De fait, collectionner l’objet peinture, fabriquer la trace plastique, photographier la performance, caricaturer ou singer le réel est bien loin d’être anodin. Lorsque l'on est invité à considérer une réalisation plastique ou visuelle, le simple fait de regarder devient un acte total répondant à l'action créative. Le spectateur est témoin, voyeur, voire acteur. Peut-être est-ce là le primitif mais essentiel dialogue entre l’objet, le créateur et l’observateur.

l L'illusion du réel

En création comme en philosophie il y a rarement une vérité… pourtant l’illusion du réel donne généralement à l’Homme l’envie de faire partager sa fantaisie à ses congénères. Et parfois même, bestial et séducteur, il tente par tous les systèmes d’imposer sa vue de la chose. Alors quel que soit le média utilisé, la volonté de ne donner que des pistes s’est petit à petit imposée à moi. Quand le moment de création rencontre le spectateur, le lecteur ou le regardeur, l’œuvre se fait passage, lieu de mutation possible, vers un autre monde où tout est question, où tout est possible : le tout et son contraire.

l Le fond, de Tokyo à Winchester

Pour répondre à ce besoin de rencontre, de croisée des chemins sensitifs, mon travail plastique s’articule depuis presque toujours autour de la conjugaison de l’art vivant et de l’art visuel.

Je reviendrai pour donner sens à cela, sur deux moments particulièrement essentiels dans mon cursus de recherche. L’un fût mon premier séjour au Japon 1989. J’ai alors 19 ans et après de longs mois d’apprentissage de la langue japonaise, je pars pour la région de Tokyo afin d’y rencontrer Maître Ichiro NAGAMORI, auprès duquel j’ai été recommandé par des connaissances comme cela se fait dans la tradition… Cette rencontre va bouleverser la vision que j’ai alors de la création. Un bouleversement rendu possible grâce à ce que j’ai déjà acquis à l’atelier de peinture de ma mère et aux Beaux-arts de Neuchâtel. Ainsi Maître NAGAMORI m’accepte comme « uchi deshi » (élève interne) de son atelier et je travaille tous les jours avec lui, apprenant la tradition du travail artistique japonais. Durant les mois d'études dans son atelier, je découvre au sens technique et rituel le travail « artisanal » de la création japonaise. Mais c’est en fait bien plus que cela que j’y découvre : la conceptualisation du geste et le sens donné à la trace, à l’encre en l’occurrence. Le travail rituel traditionnel japonais, la préparation, sorte de « mise en condition de l’acte de fabrication », tout est dans la démarche, et le résultat si esthétique qu’il puisse être n’est que le support de l’histoire qu’il véhicule.

L’autre moment déterminant sera ma première réelle installation en Angleterre en 1994. Cette mise en espace in situ propose aux visiteurs de se déplacer dans une pièce, fermée et sans fenêtre, recouverte au sol de centaines de kilos de graviers et de sable, dans laquelle résonne une bande son mélangeant le bruit du vent et les chants du théâtre Nô. Dans la pénombre, la frontière entre tableau et mise en scène disparaît et le lieu invite le spectateur à cheminer dans l’espace à son rythme, pour contempler les réalisations plastiques. Les figures fantomatiques représentées par les presque hologrammes photographiques ainsi que les visages des masques Nô peints ou sculptés, mirent de nombreux visiteurs mal à l’aise et les réactions de recul face à ces objets anxiogènes furent nombreuses. Pourtant le but était atteint : orienter les sensations du visiteur vers une fin précise et remettre en question sa notion du mystique.

l Et la forme

Mais ma volonté n’est pas alors de mettre à mal le visiteur et il fût donc important de trouver une écriture plastique plus sobre, plus à même de communiquer sans inquiéter !Alors petit à petit, les figures ont fait place à des esquisses plus abstraites, pour aboutir aux motifs des "Portes - Passages" qui sont aujourd’hui le symbole récurrent de mon travail. Cette abstraction constructiviste offre comme une forme archaïque inscrite dans un inconscient commun. Une sorte « d'ethnographie esthétique » qui trouve ainsi un outil privilégié, inlassablement répétée, autant lors des performances avec les danseurs que dans la réalisation de scénographies ou de peintures. Et c’est bien dans la continuité des recherches entreprises aux côtés de mes deux professeurs aux Beaux-arts de Paris, Claude VIALLAT et Ouanès AMOR, m’encourageant tout deux à toujours chercher dans la direction de la narration sensitive, que ces motifs sont devenus comme un signe, un système autour duquel s'articule une grande partie de mon travail : peintures, dessins et réalisations plastiques, performances picturales, décors ou scénographies. Ces fenêtres, architectures abstraites de couleurs et de traits, s’ouvrant sur un hypothétique « au-delà » de l’œuvre, se rapprochent volontiers par leur esthétisme et leur procédé, de l'expressionnisme abstrait américain ou des actions du mouvement Gutaï. Ces formes, dessinées ou peintes, sont comme le signe d'une appropriation, tout comme le sont les empreintes de mains apposées par l'homme préhistorique dans les peintures rupestres.

Mais la matière n’est pas seule à jouer de ces sentiments, le temps aussi rentre en ligne de compte et c’est là où la performance prend tout son sens. Ces mythes contemporains que j’énonçais en texte d’introduction (la naissance du corps, la jouissance, la vitesse, la destruction, l’iconoclasme, etc.) que j’étudiais déjà auprès de Marcelin PLEYNET, sont aunjourd'hui au centre de mes préoccupations par leur rapport au temps. La collection de l’objet peinture, le besoin presque vital de conserver la trace de peinture, la fascination de figer le moment par la photo, sont autant de moyens de posséder ce moment créatif… de posséder quelque chose du temps, de l’instant. La peinture donne à garder et se laisse collectionner… La performance elle, à contrario, donne uniquement à profiter de ce furtif sentiment de jouir de quelque chose d’éphémère. Et si tout cela n’était alors qu’une question de temps ? C’est sur cette interrogation que je voudrais emmener le spectateur, c’est en tout cas dans cet esprit que j’échafaude mes projets et que je vous les présente.




 

 
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