l Le plastique et l’art vivant

Outre les œuvres plus picturales qui m’ont marqué comme celles de MUNCH, de MATISSE ou encore de ROTHKO, je citerai à titre d’exemples deux documents en particulier. Le premier, parmi les réalisations d’Yves KLEIN entre 1960 et 1962, est la célèbre photo où il se jette d’un mur . Ce cliché laisse saisir au-delà du vide, la notion du temps. (Voir ce document) En faisant comme un arrêt sur image, la photo arrête la chute de KLEIN. Alors que deux mètres en dessous de lui le sol est bien là, il flotte, comme porté par notre vue, porté par le temps ainsi suspendu… Le deuxième document, également photographique, est cette série de clichés où l’on voit Kazuo SHIRAGA se tenant à des cordes au dessus de ses toile, peindre des pieds dans une sorte de danse fantastique de tout le corps. (Voir ce document) Cette conjugaison de danse Bûto et de démarche picturale parfaitement inscrite dans le mouvement Gutaï du Japon des années 1960, rappelle également ces actions où les performeurs dansent dans la boue entre disparition et renaissance.

Pour répondre à la diversité C’est une notion de cet ordre que je cherche à mettre en place depuis mes premières expérimentations « live » avec Sophie LANDRY. Dans « Regard », une de nos premières performances en 1998, l’encre rouge est comme un dernier souffle de vie s’échappant du pinceau, à même le corps de la danseuse. Les pigments se dispersent sur elle comme lors d’un rituel idolâtre. Et c’est toujours dans cet esprit que s’organisent les sensations dans « Mutagène » (création 2005 - 2006) de S. LANDRY. Dans le dernier tableau du spectacle, les quatre danseurs s’évanouissent sous le plastique, chrysalide translucide où la disparition ne laisse que le souvenir des corps après leurs dernières impulsions. Et, même si les peintures sont alors toutes réduites en lambeaux à la fin de la chorégraphie, il n’est pas ici question de destruction mais bien de souvenir. Ce dernier acte est un point clé dans ma démarche de performance.

l Se souvenir de l'éphémère

Lors de mon séjour à Nagasaki, en 1995, mon Maître et ami Serio IKAWA m’emmène sur la place de l’épicentre de l’explosion atomique de 1945 qui détruisit la ville et y fit 140 000 morts. C’est lui qui a créé le mémorial installé depuis peu au milieu de cette place ; une haute stèle de plusieurs mètres recouverte de faïences blanches et colorées. Pour moi le choc est total. Sans même avoir vu ou vécu le drame, cette œuvre d’une grande sobriété, me renvoie à tout ce qui s’y est passé, comme une évidence d’appartenir moi-même à ce passé et de m’en souvenir. D’autre part, lorsque je me trouve en présence d’un objet de culte quelconque (prenons en exemple une figurine animiste Dogon, pour ne froisser personne), c’est l’histoire que nous raconte cet objet que je cherche et non de savoir si la divinité existe ou pas ; c’est ce qu’elle suscite comme émotion qui m’intéresse. Ainsi est apparu un nouvel angle de travail : celui de la limite paradoxale entre souvenir et preuve. Je me suis trouvé face à la nécessité de rendre possible le souvenir de ce que le spectateur n’a pas connu lui-même comme étant partie intégrante de son passé et devenir alors notre patrimoine de sensations et donc d’une certaine manière de notre vécu.

Que l’objet soit faux ne fait aucun doute puisqu’il est représentatif, mais c’est ce qu’il véhicule qui nous contente. Et ce qui fait la force du folklore animiste : cette incroyable propension narrative. Croire que l’objet serait « vrai », même s’il en donnait l’illusion, serait se fourvoyer dans une idolâtrie périlleuse. Il faut douter de tout. Bien entendu je ne parle pas ici de douter des atrocités historiques comme celle de Nagasaki citée plus haut, mais des doctrines totalitaires qui entourent nombre d’objets sacrés. On pourrait certainement s’amuser à assembler aujourd’hui les morceaux de la « vraie » croix et l’on obtiendrait probablement une bonne douzaine de croix, aussi véritables les unes que les autres. En fait, bien-pensantes qu’elles semblent être, ces convictions (et le terme est important) nous chargent de fardeaux dogmatiques dans le seul but de nous asservir. Alors que c’est justement la conscience de la notion du fac-similé, de l’objet fabriqué, qui différencie incontestablement l’objet questionnant et l’objet idolâtre fanatisant. L’un par son imitation questionne le vécu et revoie à une démarche personnelle d’appropriation porteuse, l’autre amène avec la complicité d’un fac-similé trompeur, à suivre une idée unique et asservissante. Pourtant la notion de représentation est bien le repère commun de ces deux démarches diamétralement opposées. Et c’est là que rentre en compte la notion de disparition, c’est là où la mise en scène de l’objet est primordiale. Car c’est l’idée même que l’objet soit faux qui lui confère la possibilité d’être un souvenir et non une relique. Si l’objet n’est plus vrai, sans preuve, le spectateur se retrouve à devoir construire sa propre interprétation : il se met en question. Les artistes du Gutaï, et entre autre SHIRAGA, parviennent justement à émettre cette question en mélangeant la narration d’un vécu relativement proche en même temps qu’ils donnent au spectateur avec violence le devoir de discernement parce qu’il n’est ici nullement question de beau, ni d’agréable, mais de souvenir d’un inquiétant « Qui sommes nous ? » par une représentation plastique totalement abstraite.

l Vocabulaire

Dans ces performances, les techniques varient autant que les supports : toiles, papiers, bâches, polyester, structures légères ou constructions monumentales pour que le geste puisse disperser encres et couleurs avec efficacité dans cette esthétique de la disparition. Le corps entier est ainsi investi physiquement dans l’action, par le maniement des brosses et pinceaux pour évoluer autour de ces supports éphémères et charger la réalisation plastique du souvenir de l'écriture. Le travail et l’inspiration symbolique des danseurs proposent un langage mêlant l'art de se mouvoir à celui de raconter. La représentation des figures réapparaît, portée par la richesse ornementale et colorée de la danse. Ces vocables nouveaux se confrontent avec complicité aux mouvements non chorégraphiés du peintre.

Toutes mes actions convergent vers cette question de ritualisation et de trace relique. Par exemple avec les chorégraphes Sophie LANDRY ou Emmanuelle ROUSSE, nous n’avons de cesse de nous adresser à un public de tout horizon, néophyte ou professionnel, et de le questionner sur ce processus de disparition et de souvenir. Cette mise en scène de la peinture donne au spectateur un rôle actif essentiel, souligné toujours par le trio objet spectateur créateur.



 

 
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